Mauviel, Maurice: Labyrinthe algérien : Passé masqué, Passé retrouvé. Paris:L’Harmattan, 2016 (Collection « Espaces interculturels »). 484 p. ISBN 978-2-343-08292- 9. € 41,00. Recension du professeur Mohamed Meouak, Universidad de Cádiz, Departamento de filología— Área de estudiosárabes e islámicos( Cadiz), Espagne, dans « Wiener Zeitschriftfür die Kunde des Morgenlandes » 108,2018,449-501 ( en français.)
Le lecteur intéressé par l’Algérie, tant en ce qui concerne son histoire récente qu’ancienne, sera sans doute ravi de lire le nouvel ouvrage de Maurice Mauviel (désormais MM). Intitulé « Labyrinthe algérien : Passé masqué, Passé retrouvé », ce livre, à l’écriture intense et profonde, suggère de découvrir une Algérie méconnue et sort d’un certain oubli de nombreux Algériens qui forgèrent l’histoire de leur pays d’abord avec un petit « h » mais aussi décisive que celle faite avec un grand « H ».
Le volume, particulièrement bien documenté et truffé de détails et récits, est publié dans la collection « Espaces interculturels » de la maison d’édition « L’Harmattan ». Il est comme une invitation proposée aux lecteurs pour découvrir, à travers une foule de récits, témoignages et textes, l’histoire de l’Algérie, celle de l’intime et de l’intérieur, qui est restée jusqu’à nos jours relativement peu connue et parfois même difficile à saisir. De fait, l’auteur, un ancien enseignant ayant coopéré en Algérie pendant plusieurs années, affirme que son livre constitue une sorte de quête qui aidera à sortir des oubliettes des Algériens et Algériennes, « hardis corsaires de l’époque ottomane, jeunes combattants intrépides faisant face à l’Infidèle, femmes héroïques des Hautes-Plaines dont la protestation véhémente demeure ignorée, Seigneurs du Sud admirés ou humiliés par les officiers français », et également ceux « restés dans l’ombre, condamnés politiques et déportés dans des bagnes ». Principalement dédié à ses anciens élèves du Sersou, dans les Hautes-Plaines, le livre est largement marqué par la production écrite de Germaine Tillion « dont les œuvres inspirent tout ce que j’écris sur l’Algérie » nous révèle MM. En outre, il faut prendre garde de signaler que le même MM souhaitait interroger un « tempo » algérien, voire un rythme temporel algérien, et essayé de le restituer comme une sorte de musique en se basant sur de nombreux matériaux et documents rares, précieux et parfois introuvables.
L’ouvrage de MM, qui renferme dix chapitres couvrant des thèmes divers et variés, offre des tableaux de la vie quotidienne. Ces derniers sont amplement tributaires d’une écriture que nous qualifierons de « biographique ». Le premier mouvement est l’« Introduction » qui offre, d’une certaine manière, quelques clés de lecture du livre (pp. 9-24). Le chapitre deux, intitulé « Vers le Sersou » (pp. 33-112), représente une sorte de chronique régionale d’une aire géographique spécifique de l’ouest algérien. La troisième partie, au titre évocateur de « L’Orient dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, du bocage normand au Sersou algérien » (pp. 113-162), invite le lecteur à une plongée dans la littérature et la biographie afin d’expliquer ce que le fameux écrivain français mort en 1922 pensait du domaine « oriental » vu par le prisme de l’Algérie, et même sa position vis-à-vis du colonialisme. Le chapitre quatre, appelé « Les Hautes-Plaines : de Corneille Trumelet à Guy de Maupassant » (pp. 163-205), propose une excursion singulière dans une région steppique de l’ouest algérien vue par le prisme de deux figures importantes du XIXe siècle français : l’officier colonial et historien Corneille Trumelet et l’écrivain Guy de Maupassant, monument de la littérature en langue française. Le chapitre cinq constitue une espèce de retour à la Méditerranée car avec le titre de « L’Orient et l’Algérie des Niçois et d’Aristide Calani » (pp. 207-238), il suggère une invitation à observer des individus, qu’ils soient Français, Italiens ou Maltais, à travers leurs liens étroits avec l’Algérie. La sixième partie, nommée « Albert Lentin, enfant d’El-Hassi près de Sétif » (pp. 239- 292), renvoie le lecteur à un autre moment crucial de l’histoire algérienne, à savoir celui du milieu du XXe siècle. Dans cette partie, il est question notamment des souvenirs de jeunesse qui rythmèrent la vie du poète Albert Lentin qui avait, semble-t-il, su se fondre dans la société locale et comprendre le quotidien des gens d’El-Hassi dès son enfance. Par exemple, ces faits permettent d’observer qu’à l’opposé des sentiments d’Albert Camus, qui décrivit plutôt une sorte de séparation assez nette entre milieu européen et milieu indigène, l’« enfant d’El-Hassi » avait vécu dans des conditions qui invitaient plutôt à voir une relative fusion entre les deux groupes sociaux, à savoir les « Européens » et les « Algé- riens ». La septième partie est consacrée à « Un énigmatique ami des Algériens, Eugène Razoua » (pp. 293-341). Ce dernier avait été déporté en Algérie car il avait fait partie du groupe des révoltés républicains qui s’étaient soulevés contre le coup d’État de Louis- Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851. Ce chapitre est intéressant car il propose une vision singulière de ce qu’était l’Algérie dans la deuxième moitié du XIXe siècle grâce à l’expérience d’un personnage dont l’itinéraire personnel est finalement difficile à saisir. La huitième partie du livre de MM nous invite à contempler les « Obsessions algériennes et françaises de Giuseppe Bottai et Vittorio Sereni » (pp. 343-387). Cette section contient principalement des informations relatives à la physionomie de l’Algérie scrutée à travers la lunette d’individus d’origine italienne notamment. On en exhume des indices intéressants sur la « trajectoire vitale » de personnages souvent relégués aux marges et ainsi, il leur est offert l’opportunité de réapparaître après une certaine léthargie. La neuvième partie entraîne le lecteur dans le domaine de « L’enfant algérien de Joseph Desparmet et la socialisation juvénile comparée » (pp. 389-415). Il est nécessaire de rappeler ici le rôle fondamental qu’avait joué J. Desparmet dans la recherche sur l’Algérie, tant d’un point de vue scientifique que pédagogique. On remettra par exemple au goût du jour un titre aussi évocateur que celui d’Enseignement de l’arabe dialectal d’après la méthode directe seconde période et brevet d’arabe. Coutumes, institutions, croyances. Ajoutons aussi qu’il vécut de nombreuses années en terre algérienne et était capable de s’exprimer et d’écrire en arabe « classique » et en dialecte sans la moindre difficulté. D’autres moments profitables égrènent cette partie : observations sur Montaigne, Volney, Berque, etc. ainsi que des réflexions utiles sur l’usage et la prise en considération de la « langue des parents » dans l’éducation des enfants. La dixième étape offre l’occasion de mesurer ce que MM appelle « Orientalisme et pratiques pédagogiques » (pp. 417-459) à partir des écrits d’A. Cherbonneau et G. Doublet dans le Constantinois ; puis, nous avons droit à des développements sur la littérature et l’orientalisme, la linguistique et la pédagogie, etc. Enfin, dans un onzième et dernier mouvement, nous avons le loisir de découvrir l’« Épilogue » (pp. 461-467) qui offre, outre une sorte de bilan, une ouverture sur l’actualité de l’Algérie et son devenir. Marquée par une épaisseur autobiographique indéniable, cette ultime étape du livre de MM contient en plus des éléments de choix pour réfléchir sur certains moments fondamentaux qui marquèrent le passé et habitent le présent de l’Algérie.
Au total, nous avons là un livre singulier et suggestif basé sur une exploitation fine et profonde de documents, lettres, récits, poèmes, dont l’accès est difficile et dont plusieurs sont des exemplaires uniques. Ainsi, pour brosser son tableau algérien, MM s’est appuyé sur de nombreux auteurs de langues française, italienne, etc. qui se sont rendus en Algérie ou en ont parlé. Labyrinthe algérien : Passé masqué, Passé retrouvé est également le reflet d’une expérience personnelle, dans un village de la plaine du Sersou où son auteur fut amené à œuvrer en tant que pédagogue. Ce fut une période au cours de laquelle il tenta de comprendre la vie des hommes et des femmes avec qui il configura « en dépit du contexte colonial inégalitaire, des rapports chaleureux avec la population et les érudits locaux ». Ainsi, dans ce livre instructif, le lecteur découvrira au premier plan la vie des nomades des Hautes-Plaines, et d’une certaine manière ce « labyrinthe » de l’histoire coloniale où l’auteur a mis par écrit son vécu et ses idées sur une période fondamentale de l’histoire croisée de l’Algérie et de la France. Un dernier mot enfin pour dire que cet écrit, véritable chronique de l’Algérie contemporaine, constitue, à notre avis, une invitation à pousser la recherche, favoriser la curiosité, ménager le dialogue, dans le but de fomenter et consolider l’intercompréhension entre les deux rives de la Méditerranée.
Mohamed Meouak (Cádiz)